Autisme et sport (II): Les interviews des différents acteurs

1) Interview de Laetitia Aurousseau, professeur d’activités physiques adaptées et spécialiste ABA
2) Interview d’une personne autiste qui pratique du sport adapté (Aurélie) :
3) Interview de odile de Visme parent d’un enfant autiste et présidente d’une association (Toupi.fr) :
4) Témoignage de Perrine : Maman d’un enfant autiste

 

I) Interview de Laetitia Aurousseau, professeur d’activités physiques adaptées et spécialiste ABA

AspieConseil : Pouvez-vous définir le sport adapté ?
Le sport adapté, connu également sous le nom d’activité physique adaptée, est une activité sportive adaptée aux besoins spécifiques de chaque personne présentant un handicap mental, psychique ou neurologique, ce qui le différencie du handisport où là, les personnes concernées sont atteintes de handicap physique. Sont donc inclus les déficiences intellectuelles, les troubles de l’adaptation, les troubles du comportement et de l’attention.

AspieConseil : Existe-t-il des formations spécifiques ?

Actuellement, vous avez les formations organisées par la fédération française de sport adaptée (FFSA). Ces formations sont très intéressantes pour découvrir la pratique du sport adapté ainsi que la mise en œuvre et la législation. Cependant, les formations qui initient les éducateurs spécialisés à la mise en place de sport adapté sont très rares.

Actuellement, je dispense des formations « sport et autisme » dans des établissements afin de donner des stratégies d’apprentissage dans plusieurs sports et apprendre aux éducateurs à individualiser chaque apprentissage par rapport aux compétences propres à chaque personne. Cette formation est basée spécifiquement sur l’Analyse Appliquée du Comportement ( Applied Behavior Analysis ABA). Elle est habituellement appliquée dans la gestion des troubles du comportement mais apporte beaucoup d’outils dans le sport adapté grâce à cette capacité d’individualisation dans la mise en place des programmes.

AspieConseil : Quand doit-on envisager le sport adapté pour un adulte ou un enfant ?

Le sport adapté peut et doit être envisagé pour n’importe quel âge. Le sport apporte beaucoup de bénéfice sur le mental et le physique de la personne, il est donc important de pratiquer une activité physique quelle qu’elle soit.

Si la personne (enfant ou adulte) présente de bonnes compétences avec les adaptations mises en place et y trouve son bien-être, alors autant rester dans le sport adapté, car n’oublions pas que l’objectif principal du sport est le bien-être et non la normalisation. Les personnes atteintes de troubles mentaux ont besoin de repères et de rituels qui ne sont pas forcément présents dans les clubs ordinaires, mais cela reste envisageable de faire des passerelles entre sport adapté et sport typique.

AspieConseil : Quelles sont les difficultés rencontrées dans le sport pour les personnes autistes ?

  • Difficultés motrices : défaillance dans la coordination motrice, défaillance dans la coordination oculo-manuelle, lenteur dans la réalisation de certains mouvements
  • Difficultés sensorielles : contact physique, contact avec certaines textures, stimulations visuelles excessives et stimulations auditives excessives
  • Difficultés sociales : défaillance de la communication, difficultés à rester dans un groupe, compréhension de la règle du jeu, niveau faible d’attention, difficultés dans la compréhension des consignes verbales
  • Difficultés comportementales : autostimulation, troubles des comportements, coopération

AspieConseil : Qu’apporte le sport adapté ?

  • Diminution des stéréotypies
  • Amélioration de la flexibilité et de l’équilibre
  • Diminution des troubles du comportement
  • Favorisation de l’intégration sociale
  • Développement des aptitudes sensorielles
  • Développement des compétences académiques
  • Confiance en soi
  • Amélioration de la perception du corps
  • Bien-être
  • Amélioration du repérage dans l’espace
  • Coopération

AspieConseil  Comment se déroule une séance type ?

1ere partie : Echauffement : des exercices connus et maitrisés par les personnes accueillies pour ne pas les mettre en difficulté dès le début de la séance et éviter les troubles du comportement. L’échauffement est défini sur un temps donné et identifié par le public afin qu’il puisse se repérer dans le temps.

2eme partie : les apprentissages requis pour la pratique du sport choisi. Cette partie sera courte au début mais augmentera au fil du nombre de séances. N’oublions pas que les apprentissages nouveaux ne doivent pas dépasser 20% du temps de la séance et le reste consiste en des exercices déjà connus. Cette notion est très importante pour le bon déroulement de la séance.

3eme partie : moments de jeu collectif où les règles ne sont pas forcément utilisées au début. L’important est que le public concerné finisse la séance sur un moment positif, ce qui les motivera à revenir la fois d’après.

Attention : au cours de la séance, prévoir des moments de pauses et des exercices courts, car l’attention du public concerné peut être très courte. La fréquence de pratique doit être assez importante, car les personnes avec autisme ont besoin de répétitions pour acquérir les compétences requises. Les exercices peuvent aussi être travaillés en indépendant en dehors de l’activité de groupe.

AspieConseil : Auriez-vous des conseils pour les personnes qui ont connu l’échec dans le sport ?

Pour ma part, je conseille à mes patients de ne jamais abandonner : les choses prennent parfois du temps, mais tout est possible. Il suffit d’avoir les bonnes stratégies d’apprentissage et aussi la motivation. Cela est un travail d’équipe entre l’éducateur et la personne concernée, il faut une relation de confiance et surtout, l‘éducateur doit être FUN pour que la personne en face prenne du plaisir dans l’activité.

En ce qui concerne l’échec dans certains sports, il faut se poser la question si le sport choisi était pertinent, si l’on s’est basé sur les compétences de base de la personne. Les bilans moteurs sont très importants pour la détermination du sport pratiqué, il ne faut pas choisir un sport au hasard ou bien parce que certaines personnes ont envie de vous voir faire cela. C’est votre choix et vos compétences, alors nous devons nous baser sur cela.

II) Interview d’une personne autiste qui pratique du sport adapté :

Aspieconseil : Pour quelle raison avez-vous choisi du sport adapté et non du sport classique ?

J’ai choisi du sport adapté, suite à la proposition de mon médecin et à mes multiples difficultés dans divers domaines. Pour être précise, le sport classique ou en salle de sport m’est complexe et pénible. Après plusieurs essais, les stimuli sensoriels, les mouvements des personnes présentes, l’absence de réel suivi m’épuisent. De plus, les différentes pathologies physiques ne me permettent pas de pratiquer un sport dit classique. En effet, fibromyalgie, tendinopathie, bursite, arthrose, migraines chroniques, en sus de ne pouvoir me permettre d’utiliser mes bras correctement (décollement des omoplates entre autres).

AspieConseil : Comment avez-vous trouvé du sport adapté ? avez-vous évoqué votre diagnostic ?

Le sport adapté m’a été conseillé par mon médecin généraliste, tout à fait au courant de mes démarches, de mon quotidien, de mes diagnostics divers.

AspieConseil : Comment se déroule une séance de sport adapté ? 4) Quels sont les avantages du sport adapté pour vous ?

En ce qui me concerne, les séances de sport adapté sont deux séances par semaine, une heure par séance. L’activité principale est le tennis adapté. Cela consiste à utiliser des balles en mousse. Nous travaillons l’équilibre, le visuo-spatial, les réflexes, le contrôle de sa force physique (par extension la conscience de celle-ci), le travail de groupe, la cohésion d’équipe. Des exercices d’étirements avant et après les séances sont pratiqués, exercices que l’on peut d’ailleurs reproduire chez soi. Le personnel tient compte des particularités de chaque individu. Me concernant, outre le travail physique et cardio, le sport adapté me permet d’acquérir ou d’apprendre la sphère sociale / communication, interagir avec d’autres personnes (dynamique de groupe) et d’amoindrir le sentiment d’isolement social.

AspieConseil : Beaucoup d’entre nous ont mal vécu le sport, à tel point qu’ils fuient la pratique sportive, pensez-vous que le sport adapté soit une solution ?

Mon expérience personnelle du sport est limitée à la période du collège, du lycée et des quelques tentatives en salle de sport. Que ce soient les moqueries, insultes, harcèlements moraux et/ou physiques de la part des adolescents durant la période décrite plus haut, que ce soient les problématiques liées aux stimuli sensoriels trop nombreux, les problématiques liées aux effets miroirs (si l’on me donne une instruction physique en étant en face de moi, il m’est complexe de comprendre ce que doit faire mon propre corps, il faut alors que la personne en face de moi adopte la même position et orientation que moi pour que je reproduise ses mouvements), la coordination motrice approximative, la proprioception défaillante, le système vestibulaire erratique ou l’aspect « social – communication – interaction) , le sport adapté, pratiqué en petit groupe, avec d’autres personnes ayant des différences visibles ou non, dans un cadre où le personnel s’adapte à chacun et non l’inverse, chacun avançant à son rythme, sans jugements me semble tout à fait adapté aux personnes sur le spectre. Exemple personnel, durant ces séances, je peux garder mes lunettes de soleil ou mon casque réducteur de bruit si je le souhaite, et c’est un réel soulagement.

III) Interview de odile de Visme parent d’un enfant autiste et présidente d’une association (Toupi.fr) :

AspieConseil : Pour quelle raison avez-vous choisi du sport adapté plutôt que du sport classique pour votre enfant ? Quelles difficultés avait-il dans la pratique d’un sport classique ?

Mon fils de 10 ans est autiste typique, avec d’importantes difficultés d’expression et de compréhension, et de légers troubles moteurs (principalement en motricité fine).
Il fait du sport à l’école, avec sa classe ULIS (tennis adapté) et avec sa classe de CE2. Le sport avec sa classe de CE2 est intéressant pour lui, car ça lui permet d’essayer de suivre le groupe et les consignes (avec l’aide de son AVS), mais ça reste très compliqué. Il ne parvient pas à suivre le rythme, et n’est pas du tout en mesure de comprendre les règles des sports collectifs.
Mon fils a toujours eu une certaine faiblesse musculaire. Par exemple, il a su faire du vélo assez tôt (vers 6 ans), mais à la moindre petite côte il avait besoin d’aide. Il a aussi une représentation de son corps qui semble encore assez floue : l’an dernier, il faisait du kung fu en centre d’animation, dans un groupe classique, et avait énormément de mal à reproduire les mouvements, malgré l’aide de son éducatrice, qui l’accompagnait.


Nous avons donc eu envie d’essayer une pratique sportive individuelle, avec des enseignants formés à l’autisme et à la déficience intellectuelle. Nous voulions dans un premier temps qu’il apprenne à nager, pour sa sécurité. J’ai trouvé un jeune enseignant d’activités physiques adaptées, et mon fils a fait peu après une séance d’essai de piscine, qui s’est très bien passée. Depuis un an et demi, il fait donc de la natation avec cet enseignant ou son collègue, une fois par semaine. A notre grande surprise, après deux ou trois séances, il savait déjà se déplacer seul dans l’eau, sans aucune aide. Il apprend depuis à mieux maîtriser ses mouvements, à plonger, à chercher des objets au fond de l’eau. Son enseignant a réussi à lui apprendre tout ça, je pense, en prenant le temps de bien l’observer, et de noter ses difficultés et ses points forts. Petit à petit, mon fils a ainsi pu dépasser ses peurs : lui qui ne voulait jamais mettre la tête dans l’eau prend maintenant énormément de plaisir à plonger.
Rapidement après le démarrage de ces séances, nous avons eu des retours de l’école et de ses différents suivis (suivi psycho-éducatif, ergothérapie, piano) : tout le monde trouvait qu’il avait une bien meilleure posture et un meilleur tonus musculaire, ce qui l’aidait aussi au niveau scolaire, pour le graphisme notamment.


Depuis un an, nous l’avons inscrit, avec la même association d’activité physique adaptée, à une séance d’escalade par semaine. Là aussi les progrès ont été rapides et importants. Il est aujourd’hui bien plus dégourdi et à l’aise avec son corps.

 

AspieConseil : Comment avez-vous trouvé du sport adapté ? quels sont les tarifs ? Le sport adapté peut-il être remboursé à votre connaissance ?

J’ai trouvé par un groupe Facebook dédié à l’autisme les enseignants d’activité physique adaptée qui suivent mon fils. Ils ont fait des études de STAPS avec une spécialité en sport adapté. L’an dernier, ils ont monté une association pour obtenir des subventions et limiter le coût des séances pour les parents.
Nous payons 50€ pour 1h30 de pratique sportive. Ça peut être au moins en partie remboursé par notre MDPH, mais comme nous dépassons de toute façon les plafonds des allocations, avec l’accompagnement scolaire de mon fils, cela ne nous est pas remboursé.

AspieConseil : Comme se déroule une séance, quels avantages trouvez-vous à réaliser du sport adapté pour votre enfant ?
A la piscine, les enseignants essaient de donner un maximum d’indépendance à mon fils. Il doit s’habiller et se déshabiller seul, se doucher, etc. Dans l’eau, l’enseignant est avec lui afin de lui apprendre les mouvements et de lui donner des consignes. Selon l’état de fatigue de mon fils, il va le faire beaucoup nager, ou plus alterner avec des moments de détente.
En escalade, ils ont commencé par des murs simples, pour jeunes enfants, puis lui ont proposé des murs de plus en plus complexes. Mon fils a un peu peur d’aller en hauteur, donc ils font bien attention à observer ses réactions et à bien l’accompagner pour qu’il progresse sans être stressé.
Après chaque séance, l’enseignant nous fait un retour sur la manière dont ça s’est passé. Les enseignants sont toujours très enthousiastes, c’est un vrai plaisir de voir comme ils aiment leur métier et sont positifs sur les efforts et progrès de mon fils.

AspieConseil : Globalement êtes-vous satisfaits ?

Pour nous, ces séances sont une vraie réussite : mon fils est toujours ravi d’aller à la piscine ou à l’escalade, et se donne beaucoup de mal. Il a pris goût à l’effort physique, ce qu’il n’avait pas avant. Et il progresse de manière très visible et rapide dans les sports pratiqués, et dans sa maîtrise de son corps en général.

IV) Témoignage de Perrine : Maman d’un enfant autiste

Mon fils de 7 ans autiste et déficient visuel fait 1h par semaine de motricité adaptée. Les progrès apparaissent doucement dans différents domaines : il tend moins la main pour demander de l’aide dans les exercices d’équilibre, il coopère davantage lors d’un nouveau parcours, il se félicite tout seul avec le sourire. Certaines activités n’ont presque plus besoin d’être guidées, comme l’échauffement, le rangement du matériel, les étirements.

Au-delà des bienfaits sur sa santé, son écoute, sa concentration et sa confiance en lui, je considère à présent ces séances comme une “passerelle” vers le milieu ordinaire : l’éducateur effectue un véritable travail de préparation à l’inclusion. Avant d’entamer réellement un exercice, les freins sont nombreux : vocabulaire des éléments, des actions, interprétation du pointage de l’éducateur. Puis vient l’exercice en lui-même, qui demande à mon fils des efforts supplémentaires par rapport à un enfant neurotypique, sachant qu’il y a double handicap avec ses pathologies visuelles sévères. L’expérience que mon fils accumule a facilité sa participation à deux rencontres sportives dans un cadre scolaire. Ses séances de psychomotricité par le Sessad ont certainement conforté ses progrès.

Le travail individuel sur-mesure du sport adapté me semble essentiel pour participer, même à petite échelle, à des activités sportives du “monde ordinaire”. Si des lois ou des documents circulent autour des adaptations des rencontres sportives, c’est tout autre chose sur le terrain, malheureusement. Nous tombons pratiquement toujours sur des personnes bienveillantes et ouvertes pour les sorties auxquelles mon fils participe, mais on voit que la prise en compte du handicap n’a pas fait l’objet d’une quelconque réflexion dans la préparation des ateliers, et ce malgré la connaissance du type de handicap des participants. Notre MDPH, certainement comme d’autres, est complètement hermétique à l’idée de compenser le surcoût des séances par rapport à un coût de “sport ordinaire”, alors que nos enfants en ont particulièrement besoin. La MDPH refuse également l’AVS plein temps pour mon fils: ainsi le sport à l’école passe à la trappe puisque non aménagé. Cela en dit long sur la façon dont la santé de nos enfants est considérée par l’Etat…En attendant, nous poursuivons les séances en gardant à l’esprit la chance que nous avons de travailler avec un éducateur dévoué et compétent.

L’association malesherboise AIPE à mutualisé l’activité de motricité adaptée auprès de familles dont les enfants sont Tsa, Tdah et autres troubles associés. Le profil d’éducateur sportif formé au handicap psychique ne court pas les rues. Sans organisation commune, nous n’aurions pas pu bénéficier de ce professionnel ni de la salle. L’association reste ouverte pour de nouveaux candidats au sport adapté.

La 3eme partie de l’article se trouvent ici : Autisme et sport (III) :Approche pratique du sport adapté dans l’autisme

Retrouvez l’intégralité du document en pdf sur ce lien: Autisme et sport adapté

2 Comments

2 Trackbacks / Pingbacks

  1. Autisme et sport (I): Une approche théorique du sport adapté – AspieConseil
  2. Autisme et sport adapté – AspieConseil

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*