Beaucoup de parents qui sont dans mes contacts se rendent compte qu’ils peuvent apporter beaucoup à leur enfant, certains constatent aussi que les institutions se montrent peu présentes en ces temps et réfléchissent déjà à l’après. Or, s’il y a un constat aujourd’hui, c’est que les parents sont dans une sorte « d’empowerment » du devenir de leur enfant et c’est un point bénéfique de ce temps de crise. Ainsi, je fus bien étonné car 400 parents ont participé aux formations sur la gestion des troubles du comportement que j’ai proposées.
C’est donc dans cette perspective, que je souhaitais m’inscrire pour souligner que ces temps de confinement sont le bon moment pour réfléchir des nouvelles stratégies en établissement: celles du transfert de compétences et de la guidance parentale. Pris de court, beaucoup d’établissements n’ont pas pu mettre en place quelque chose. Il est toutefois évident que d’un lieu à l’autre cette guidance a été parfois faite. Je ne souhaite pas écrire un article à charge qui n’apporterait rien, alors que l’idée est de proposer un changement. Mais ce confinement doit inviter chacun à cette continuité « éducative » pour reprendre une expression actuelle et aussi à penser l’après.
Je vais donc reprendre l’interview dans un premier article en trois points: La vie en confinement, les relations avec l’institution et les leçons pour la famille interviewée. Plus encore, ces leçons seront divisées elles-mêmes en trois articles (que de triptyques) dont une partie pour proposer des idées pour favoriser une meilleure guidance parentale tout au long de l’accompagnement. Je tiens à remercier la personne interviewée et la félicite pour son engagement.
I) La vie en confinement
Mon fils a 16 ans ; il a eu un diagnostic d’autisme infantile à l’âge de 5 ans (infantile, donc je suppose qu’une fois adulte il ne sera plus autiste). Il a été en classe ordinaire de 3 à 6 ans, puis en CLIS maternelle de 6 à 8 ans ; à 8 ans, il a intégré un IME qui disposait d’une section autisme ; cette section autisme a été démantelée 2 ou 3 ans après son entrée, les éducateurs spécialisés autisme ont été répartis sur les deux pôles IME/IMPRO, en soutien auprès des autres éducateurs.Il va à l’IME 4 jours par semaine et il y dort deux nuits par semaine.
Comment vivez-vous le confinement aujourd’hui avec votre enfant ?
Plutôt bien : il est content d’avoir toute sa famille en permanence avec lui ; son eczéma a disparu, alors que j’ai réintroduit (progressivement) les produits laitiers qui provoquaient cet eczéma. Il n’a presque plus d’incontinence nocturne : cette incontinence avait débuté en septembre, à la rentrée à l’IME, sans qu’on arrive à en déterminer la cause.
Lui est donc plutôt heureux ; il dort très bien, mange bien, semble heureux (il est non verbal et dispose de peu de moyens de communication, ce qui rend difficile l’évaluation de son état d’esprit).
Pour nous c’est plus de travail : il est peu autonome donc demande beaucoup de prises en charge dans la vie quotidienne, il « chaparde » beaucoup la nourriture et on doit tout cacher, il ne sait pas trop s’occuper seul donc soit on l’occupe, soit il ne fait rien (ce qui ne semble pas le déranger)
Cet adolescent vit son confinement de façon plutôt sereine, moins d’eczéma, une qualité de vie perçue plus favorable. Sur le plan de la communication, il est hélas assez déconcertant de voir à quel point beaucoup de jeunes adolescents et adultes autistes n’ont toujours pas de communication alternative pour exprimer leurs besoins, alors même que l’absence de communication favorise les risques de comportements inadaptés.
II) Les rapports avec l’institution
Pour rappel, voici ce que prévoyait l’état, différents niveaux d’intervention sont organisés en appui de la continuité médico-sociale au domicile :
- Niveau 1, a minima : contact téléphonique
- Niveau 2 : envoi par courrier/mail de supports/matériels, éducatifs ou autres
- Niveau 3 : dépôt de supports/matériels, éducatifs ou autres au domicile
- Niveau 4 : intervention à domicile en prévention (exemples : pour éviter l’apparition de troubles graves du comportement ; pour éviter l’épuisement d’aidants) ;
- Niveau 5 : intervention à domicile en curatif (exemples : pour apporter un répit immédiat, pour réguler des troubles graves du comportement, etc
Source: Information handicap
L’IME vous a-t-il aidés en cette période de confinement ?
L’IME m’a appelée au bout d’une semaine environ ; à ce moment-là, les mesures dérogatoires pour les personnes autistes n’avaient pas encore été mises en place . Je souhaitais pouvoir sortir plus loin qu’1 km et plus longtemps qu’une heure avec mon fils, car ces sorties sont essentielles pour lui. J’ai donc demandé un certificat à la psychiatre pour pouvoir plaider ma cause auprès des gendarmes en cas de contrôle. Il m’a fallu deux relances pour obtenir ce certificat qui disait uniquement que mon fils avait besoin de sortir (or, sortir, il y était autorisé, ce que je demandais était un allongement de la durée). J’avais également suggéré que l’IME envoie ce genre de certificat à toutes les familles, libres à elles ensuite de décider quoi en faire : certaines ne sortent plus de chez elles par peur du virus, d’autres décident de sortir souvent, longtemps, parfois loin du domicile (à la campagne, par exemple, pour les citadins): ma demande n’a pas été entendue.
La chef de service m’a appelée encore une fois pour vérifier que sa collègue m’avait appelée et savoir comment nous allions. Je lui ai dit que comme nous allions plutôt bien, elle pouvait concentrer ses appels sur les familles en grande difficulté.
Malgré tout, je voudrais souligner la démarche d’appel des parents et de recueil des besoins. A la décharge de pas mal d’établissements, le confinement fut très précipité et l’absence de masques ne permet pas la prise en charge à domicile.
Quels ont été les supports proposés? Étaient-ils adaptés pour le profil de votre fils ?
J’ai eu au téléphone une éducatrice qui accompagne mon fils au quotidien sur l’IME et le connaît plutôt pas mal. Elle m’a demandé ce que je souhaiterais avoir comme aide concrète. J’ai demandé un descriptif des activités sur table que fait mon fils à l’IME, pour pouvoir prendre le relais et trouver des idées d’activités (comme je l’ai dit, il ne s’occupe pas seul).
J’ai reçu deux mails : un où elle me disait de lui fabriquer un emploi du temps pour structurer ses journées et me proposait de faire des activités de tri simples (par exemple, chaussettes et fourchettes). Un autre mail me fut envoyé où elle a ajouté des pictos pour m’aider à gérer les colères de mon fils. Ces pictos étaient très mal faits, et surtout, mon fils ne fait presque JAMAIS de colères. C’était donc complètement inutile.
Là je dois bien avouer qu’il est difficile de trouver plus consternant que ce document, outre qu’il est incompréhensible, les photos sont mal cadrées. Proposer à un enfant non verbal comme solution à la colère : « je parle », « je demande » est lamentable. D’autant plus que visiblement il ne fait pas de colère. Se frapper dans la main est vraiment une chose à ne pas du tout proposer à une personne autiste, à moins de vouloir développer des troubles du comportement.
Quelle aide aurait semblé adaptée ?
J’attendais une liste d’activités adaptées à mon fils (j’ai bien eu l’exercice de tri, qui lui va tout à fait, mais c’est tout) ; grâce aux réseaux sociaux, j’ai obtenu des idées d’activité et je les teste avec mon fils, mais je me demande pourquoi l’IME n’a pas été en mesure de m’envoyer la liste des activités que fait mon fils sur table…
Pour généraliser un peu plus, les documents proposés par les CRA, par les organismes pour aider les enfants handicapés n’ont que très peu rendu compte des besoins des personnes autistes avec peu d’autonomie. Pour la population autiste la plus autonome, ils devenaient infantilisants.
Structurer un emploi du temps demande un vrai travail qui ne peut être fait rapidement et suppose un vrai travail où l’on commence avec une ou deux activités
Cela nécessite de commencer par l’activité du moment et celle qui suit, pour espérer en quelques mois avoir une structuration à la demi-journée. Il est inutile d’imposer aux parents ce qu’on n’a pas su mettre en place antérieurement. La crise du covid et les imprévus qu’elle génèrent n’est pas le temps d’apprendre un nouveau panel comportemental non appris au préalable:
Sensibilisation aux supports visuels
III) L’après crise du coronavirus
Quelle(s) leçon(s) retirez-vous du confinement pour votre enfant ?
Malheureusement, ce confinement m’a confirmé deux choses :
- Mon fils n’est jamais aussi heureux que quand il nous a tous avec lui ; pas seulement moi, mais aussi son papa et ses frère et sœur.
- L’accompagnement par l’IME semble laisser à désirer. Je n’en suis pas surprise : en décembre, mon fils a changé de groupe. Dans son nouveau groupe, l’encadrement est beaucoup trop faible : 3 éducateurs pour 9 adolescents, dont 6 ou 7 autistes très peu autonomes. Parmi eux 3 à 5 jeunes ont des troubles du comportement importants . Je l’avais déjà remarqué avant le confinement et avais pointé ce problème, mais dans cet IME, les choses bougent lentement. C’est le constat que j’avais déjà fait et la réponse qu’on m’a faite quand j’ai pointé les nombreux dysfonctionnements du groupe de mon fils ; sauf que moi, je ne peux pas attendre ! mon fils a 16 ans, il peut encore progresser !
Dans l’accompagnement de votre enfant y aura-t-il un avant/après confinement ?
Sans doute, je ne m’imagine pas le remettre à l’IME 4 jours par semaine, j’aurais l’impression d’être mal-traitante (en deux mots). Je réfléchis à une solution alternative.
Conclusion partielle:
Il ne s’agit pas du tout de fustiger les institutions de façon uniforme, mais cette crise révèle des fractures importantes. Tout d’abord, une hétérogénéité au sein des solutions proposées et l’article de handicap.fr en témoigne, 5 niveaux qui vont dépendre aussi de la présence de masques, de la difficulté des familles mais aussi de la volonté des établissements.
Ensuite cela révèle le problème de la guidance parentale et transfert de compétences tout au long du temps d’accueil de l’enfant dans les établissements. Idéalement on pourrait prévoir des temps de formation tout au long de l’année, plus de visibilité sur des programmes en cours, plus de travail au préalable où la famille et l’enfant redeviennent le centre des interventions. Bien sûr, tout ne se fera pas sans moyen ou simplement en disant « il faut faire ceci ou cela », mais bien sûr avec un vrai travail de fond.
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