Depuis quelques semaines voire des mois, je voulais écrire au sujet de l’impact du coronavirus sur les personnes autistes. Bien entendu, je vais traduire ici des vécus, le mien et celui d’amis, notamment au travers des difficultés rencontrées.
Malgré tout en préambule, je voulais expliciter que l’impact fut divers selon les situations, et l’environnement de la personne. Certaines personnes ont ainsi pu bénéficier d’un cadre de vie sans sociabilité obligatoire qui a pu, au moins à court terme, sembler être une contrainte de moins. Même si le début de cet article est un peu anxiogène, il a surtout pour but d’expliquer les pistes de réflexion.
Dans une première partie, j’évoquerai l’impact sur le plan comportemental et sensoriel (qui sont d’ailleurs liés), ensuite sur l’impact psychologique, enfin je proposerai des pistes pour éviter que le coronavirus accroisse les difficultés ressenties pour les personnes autistes.
1) L’impact socio-comportemental et sensoriel
Pour beaucoup de jeunes enfants et adultes autistes, le confinement a signifié la fin de l’école, du travail (pour ceux qui en avaient) et une réduction des sorties en général. Aussi souvent à court-terme, des personnes comme moi ont pu se sentir soulagée, et je peux tout à fait le comprendre. Plus besoin d’entrer dans le petit théâtre social, j’ai pu me sentir soulagé, mais les périodes d’indécisions avant le confinement m’ont rendu très anxieux, j’étais alors inscrit dans une dynamique où de nombreuses formations m’étaient proposées et je ne savais jamais si j’allais devoir annuler les formations que j’allais donner. Les organisateurs étant eux aussi dans une difficulté à choisir une option.
C’est donc parfois quand même avec un certain enthousiasme que des personnes ont pu entrer dans le confinement, or si au départ cela fut ainsi, beaucoup ont perdu des compétences sociales. Comme le disait assez justement, une personne autiste, pour nous le social est comme manier un appareil photo réflex, il faut sans cesse faire la mise au point contrairement aux appareils avec un autofocus. Or cette qualité de faire la mise au point, de savoir quoi dire s’est perdue. En synthétisant un peu grossièrement, voici quelques difficultés résumées dans ce graphique :
Oui un point sur lequel je souhaite souligner l’importance, c’est que beaucoup de personnes autistes ont du mal à s’adapter, on peut lier cela à plusieurs choses, et sans doute à une flexibilité réduite. Mais c’est ainsi, or cette période a exigé de nombreuses adaptations, de nombreux imprévus. Si bien entendu peu de personnes autistes ne regretteront d’avoir à embrasser la moitié de la planète, beaucoup ont souffert de se voir couper dans bon nombre d’activités utiles comme le sport adapté, les sorties dans la nature etc.
Par ailleurs, le manque de sortie et de motivation sociales induites ont entrainé bien souvent des sous-habituations sensorielles dont certaines familles et personnes paient encore le prix :
Prenez quelqu’un qui ne sort plus dehors et vit dans une grotte ou un navigateur en solitaire, il a toujours besoin d’un temps plus ou moins long pour s’habituer aux stimulus nombreux lorsqu’il sortira dehors ou ira dans la vie sociale. De la même façon on peut avoir le phénomène inverse que l’on notera sensibilisation :
Je reviendrai sur le façonnement en 3eme partie
2) L’impact psychologique
Toutes les études le démontrent l’anxiété et la dépression ont explosés en temps de Coronavirus et particulièrement pour les jeunes. Il est toutefois difficile d’avoir de telles mesures pour les personnes autistes, pour diverses raisons. D’abord, parce qu’hélas, beaucoup de personnes autistes ont une symptomatologie dépressive très différente de la norme mais aussi du fait d’une verbalité réduite ou de leur manque de recul (insight), elles auront du mal à avoir l’aide nécessaire ou à se déclarer en dépression.
Toutefois au regard de l’adaptation aux nouvelles contraintes, à cause de l’isolement social et aussi à un contexte anxiogène parfois peu compris, de nombreuses personnes autistes ont souffert. Par ailleurs la transition, et l’imprévu sont deux choses qui favorisent les contextes de difficultés comportementales et psychologiques, or ici et aujourd’hui encore malgré une pseudo prise en compte des fragilités psychologiques, des tas d’informations et injonctions contradictoires sont données. Enfin, beaucoup d’établissements avaient fait peu de guidance parentale nécessaire quand l’enfant était confiné et ont eu du mal à réagir face à une situation inédite en suivant convenablement les personnes (/https://aspieconseil.com/2020/05/02/les-lecons-du-confinement/). Dans ce lien, vous trouverez des idées pour améliorer la communication parent/structure. Par ailleurs, il fut difficile pour bon nombre d’aidants de mener de front, un travail prenant et l’accompagnement de leur enfant.
Avec une classe parfois virtuelle et une pédagogie différenciée non mise en place, questionnaire sur plus de 1000 enseignants, les enfants autistes ont subi de plein fouet et ont accumulé les difficultés dont certaines ont conduit hélas au maintien dans la même classe ou au redoublement :
La difficulté de porter des masques (vidéo d’aide) a beaucoup renforcé aussi la peur des personnes et encore plus encouragé à un isolement social, à un rythme de vie décalée qui a contribué à un mal-être. Enfin, beaucoup de personnes autistes comme moi ont une vie sociale très virtuelle et les réseaux sociaux ont fortement contribué à la propagation d’informations anxiogènes. D’un coup, alors que j’avais beaucoup de formations prévues, il m’a fallu renoncer à cela, avec une difficulté à pouvoir les reporter à cause des vagues successives. Sans compter la perte financière notable, j’ai passé un mois à me lever à 9h30 sans avoir aucune envie et j’ai même dû envisager une nouvelle médication.
3) 10 solutions pour palier cette situation difficile :
Mon épouse en me lisant, me dira, sûrement que j’ai réussi à plomber le moral des troupes, toutefois voici une liste de conseils utiles :
- Si votre enfant ne veut plus sortir dehors, ne veut plus socialiser, commencez un petit programme de façonnement (c’est-à dire accepter d’habituer graduellement vers un objectif plus grand) :
Et surtout par la suite, j’invite à se forcer à sortir avec son enfant ou avec la personne autiste, en rendant cela très agréable pour elle. Même si elle en manifeste peu l’envie, à terme son bien-être sera renforcé et la sous-habituation risque de la rendre anxieuse et en souffrance.
- Pour ma part la déconstruction du risque ne faisait que m’y ramener. A l’inverse accepter la fait que je puisse attraper le covid mais qu’intervenir auprès de personnes autistes est une valeur plus importante pour moi m’a engagé à continuer
- En tant que personne autiste, vos rituels sont importants, ne les arrêtez pas en confinement. De même, vous pouvez mettre en place une structuration temporelle même en période sans activité, vous obligeant à vous exposer légèrement socialement, à faire une sortie par jour (en façonnant au début 5 minutes, puis 7 puis 10 minutes). Prenez du temps pour organiser vos journées
- Observez bien vos changements en termes de réduction du temps passé sur vos intérêts spécifiques, de l’augmentation ou de la diminution de votre sommeil, de la teneur de vos pensées obsessionnelles. N’hésite pas à appeler vos CRA de référence, si besoin est, je vous y encourage.
- Limitez votre exposition aux informations anxiogènes, et au besoin si vous êtes comme moi sur Facebook, désabonnez-vous des personnes qui relayent beaucoup d’informations qui provoquent chez vous une augmentation de vos pensées obsessionnelles ou de votre anxiété.
- Utilisez les règles d’acceptation des pensées négatives et engagez vous dans ce qu’il vous plait, ce temps peut être aussi celui de vous former à vos sujets préférés, et c’est ce que j’ai fait au cours de cette période.Ici Monsieur Liratni propose une vidéo bien réalisée pour cela :
https://www.youtube.com/watch?v=l9LR05Fx8hM
- La pleine conscience est une technique éprouvée dans l’autisme, vous trouverez des vidéos un peu partout, engagez vous dans ce temps d’écoute de vos sensations, prenez le temps. Ne soyez pas à la recherche d’objectifs inaccessibles
- Beaucoup de Webinars, de mooc sont disponibles gratuitement pour se former par exemple à l’autisme et sur de nombreux autres sujets, n’hésitez pas à profiter de ce temps pour vous engager dans vos passions
- Les groupes de personnes autistes peuvent être des lieux de refuge pour discuter de votre stress, des cafés virtuels ont même vu le jour
- Même en temps sans activité, il faut cultiver les moments de loisirs, ne culpabilisez pas de prendre des temps pour vous
- Renforcez votre sentiment d’efficacité, gardez les liens avec les personnes qui vous font du bien et surtout notez vos projets et réalisez-les, en cette période il est important de pouvoir garder une estime de soi convenable.
Conclusion :
En cette période anxiogène, j’ai vu des personnes typiques décompenser alors que jusqu’alors elles avaient un équilibre et ce qu’elles soient jeunes ou plus âgées. Aussi ne culpabilisez pas si vous ressentez du stress, de l’anxiété et de la souffrance. Plus particulièrement pour les personnes autistes, la satisfaction de n’avoir plus à jouer le théâtre de la vie sociale, a pu impacter leur vie au point de ne plus vouloir sortir. D’autres qui n’arrivent plus à reprendre leur travail ou leurs études, contactez les lieux de diagnostic, mobiliser les sites comme Qare/Livi où on trouve des psychiatres pris en charge. Dans tous les cas, cet article n’entend pas explorer toutes les façons de vivre le coronavirus qui dépendent de plein de facteurs autre que l’autisme de la personne.
Pour aller plus loin :
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7392884/#bib2
Tiens, je tombe à l’instant sur cet article qui confirme ce que j’avais saisi de ma vie cette dernière année. « Ancienne » agoraphobe en anxiété généralisée, j’avais enfin trouvé un équilibre social qui me convenait sans trop souffrir d’anxiété. L’incertitude, les confinements, l’incitation à éviter les gens, les foules, empêchant de fait mes expositions quotidiennes ont eu raison de mes capacités sociales. Me voilà revenue 10 ans en arrière, paniquant pour tout et rien. Je comprends mieux le processus, merci ! Les expositions progressives et la bienveillance sont les clés.
Bon courage à tous dans ces périodes anxiogènes.