Voilà plusieurs semaines que Phantom (Comprendrelautisme) et moi-même réfléchissions à un article sur l’inclusion. En cette date d’anniversaire de la loi 2005, fêtons dignement cette loi en proposant trois articles sur ce sujet.
Difficile de parler d’inclusion, tant ce mot est utilisé, tant ce mot est galvaudé, tant il est de moins en moins signifiant. Mais pour avoir co-organisé une table ronde sur ce sujet, je tenais à l’aborder sous différents angles.
Ce premier article évoque les raisons de l’inclusion (Pourquoi?) un deuxième qui s’attachera à décrire comment les concernés vivent l’inclusion (avec qui?) et enfin un troisième qui donnera des pistes pour pratiquer cette inclusion (comment?), ce fameux en triptyque.
Pourquoi l’inclusion
Drôle de phrase pour initier cet article, j’aurais tendance en premier lieu à dire parce que c’est la loi, rappelons la : « « A cette fin, l’action poursuivie vise à assurer l’accès de l’enfant, de l’adolescent ou de l’adulte handicapé aux institutions ouvertes à l’ensemble de la population et son maintien dans un cadre ordinaire de scolarité, de travail et de vie. Elle garantit l’accompagnement et le soutien des familles et des proches des personnes handicapées. »[1]
Mais la loi a-t-elle offert un changement de société ? évidemment non et l’opinion publique à cet égard souligne la difficulté d’accepter certains handicaps dans l’école.[2] Ce sujet ne va donc pas tendre à fonder un rappel de loi, ni même à évoquer les moyens de scolariser un enfant autiste mais souligner que l’inclusion des personnes en situation de handicap est à la fois un devoir légal, moral mais aussi une richesse offerte à la société.
I) Quelques définitions:
Plutôt que reprendre les définitions disponibles du handicap, je tiens à rappeler deux choses:
- La sémantique qui fait passer de « personne handicapée » à « personne à besoins particuliers » n’est pas une novlangue, ou l’expression d’un politiquement correct. Elle rappelle que ce n’est pas à la personne en situation de handicap de s’adapter, mais bien à la société que revient la charge de l’adaptation.
- Le handicap est lié à un contexte, bien entendu je connais des personnes autistes sévères ou des personnes ayant eu un AVC important qui auraient besoin d’aides quelle que soit la société. Toutefois, il n’empêche que le handicap s’inscrit dans un contexte précis, fruit d’une interaction entre la personne et son environnement. Prenons un exemple grossier, être aveugle dans un monde sans lumière, n’est plus un handicap. Cet exemple bien sûr irréel souligne que le contexte reste un facteur majeur et certains handicaps dans des situations bien précises n’engendreraient plus de conséquences négatives
Avant de définir l’inclusion, rappelons ce qu’elle n’est pas:
- Une fin en soi : l’inclusion est un processus qui se travaille dans le temps
- Des temps dédiés d’inclusion « hors des murs » pour justifier la mixité avec de rares temps réellement inclusifs
- Un public catégorisé au sein d’un établissement
- Des adaptations où la personne n’a aucune autodétermination
L’inclusion est à la fois des principes qui doivent être mis en lien mais aussi des actions sociétales comme nous le voyons dans le schéma suivant :
Qu’est-ce que l’inclusion pour moi? Dernièrement j’ai eu à me prêter à une définition courte, c’est acter que sans prérequis, tout ce qui est potentiellement accessible pour la personne valide le devienne pour la personne handicapée. Bien sûr, il peut y avoir des limitations physiques, mais là encore c’est déjà s’inscrire dans le processus d’accessibilité et d’adaptation.
L’inclusion contrairement à ce qui est toujours évoqué dans nos médias n’est donc pas limitée ni à l’inclusion scolaire, ni aux enfants, elle concerne tout et tous:
Avant, en conférence, je perdais mon auditoire en disant » Demain un AVC peut vous conduire dans le monde du handicap, alors le regard sur l’inclusion changera et vous serez ravis qu’elle existe ». Aujourd’hui que mon père a connu ça dernièrement, je ne change pas d’avis et confirme, le monde du handicap quel que soit l’âge, le diagnostic est un parcours difficile, non pas tant à cause du handicap mais par les « à-côtés ».
Toutefois ici, je me concentrerai sur le scolaire, pas pour une question de longueur, mais l »inclusion dès le plus jeune âge engendre une exposition précoce aux personnes handicapées. Les enfants qui auront eu l’habitude de côtoyer des personnes avec différents handicaps seront à même de participer à l’inclusion adulte. C’est ici que tout commence, si l’inclusion scolaire ne se fait pas, alors le reste non plus.
En attendant voici un panorama non exhaustif de la scolarité des personnes en situation de handicap :
II) Des obstacles à l’inclusion aux réponses des modèles de l’étranger
La peur du handicap :
Très souvent il y a beaucoup de méconnaissance et je vous invite à lire mes articles sur l’autisme ou le trouble oppositionnel avec provocation:
cartographier l’autisme
Le trouble oppositionnel
La première peur est le manque flagrant de formation tant des AESH, c’est-à-dire des accompagnants de l’enfant handicapé, que des professeurs. Les AESH ont d’ailleurs un statut toujours autant précaire, qui ne facilite ni le recrutement, ni l’expérience, ni le maintien pour des enfants qui ont besoin de repères. Aussi avec un autisme protéiforme qui demande des réponses adaptées à la personne, difficile de donner une formation de solutions toutes faites. Par exemple quand un enfant se tape ou donne un coup, il peut le faire pour diverses fonctions/causes :
https://atomic-temporary-121982848.wpcomstaging.com/2019/02/23/comprendre-un-comportement/
Dès lors la peur finit par tourner entre un mélange de diagnostics, de symptomatologies et de termes dévalorisants qui réduisent la personne autiste à ses difficultés et imputent la faute aussi bien à la personne qu’aux parents.
L’existant et les faibles moyens donnés pour l’inclusion :
Face à cela, souvent l’éducation nationale a une volonté de mettre l’enfant dans un IME où il sera mieux avec ses pairs. Or, cela se fait au mépris de toutes les études qui démontrent que l’effet mimétique aide à l’acquisition des apprentissages (aussi bien sociaux que scolaires). D’autant plus que dans certains IME, la scolarisation est partielle ou inexistante, sans objectif, ne faisant même pas l’objet d’un plan de scolarisation.
Ce problème n’est pas qu’imputable aux IME mais bien encore une fois à ce manque de moyens. Des stratégies autisme de plus en plus diluées entre tous les troubles neuro-développementaux, des filières spécifiques sans budget (UEEA) ou d’un transfert du médico-social vers l’éducatif qui parait non seulement insuffisant mais incapable de donner des moyens au public des IME.
Quelques obstacles récurrents à la scolarisation dans l’existant:
Et en EUROPE ?
A cela, je citerai l’Italie qui n’est pas parfaite en matière de scolarisation mais qui a au moins le mérite de démontrer que oui c’est possible de scolariser toutes les personnes en situation de handicap
J’ai ajouté la partie « fermeture des hôpitaux psychiatriques » pour souligner que c’est bien un changement sociétal profond qui conduit à cette inclusion dans la société
III) Les avantages d’une scolarisation
Pour les autres enfants non autistes :
- Etude de David Mandell : « Selon les conclusions préliminaires de 71 enfants d’âge préscolaire, les enfants les plus atteints de troubles cognitifs – ceux avec des scores inférieurs à 47,3 à l’évaluation de la Mullen Scales – ont amélioré leurs scores avec la marge la plus élevée lorsqu’ils étaient placés dans une classe ordinaire. Les enfants placés dans des classes spécialisées dans l’autisme ou dans des classes d’éducation spéciale en général ne se sont pas améliorés. (Source Comprendrelautisme.com Spectrum news)
- l’absence d’effet négatif pour une classe lors de la présence d’un enfant en situation de handicap : Demeris, H., Childs, R. A., & Jordan, A. (2007)). Cela signifie que contrairement à ce qui est souvent argué, les personnes en situation de handicap ne retardent pas la classe. Il y a même un léger effet positif pour 3 personnes en situation de handicap dans une même classe.
Cette petite planche montre que l’autisme permet à beaucoup d’enfants typiques non seulement d’être exposés aux personnes handicapées mais de pouvoir se responsabiliser envers eux. Finalement contrairement à ce que prétendent certains, l’inclusion n’est que rarement un problème pour les enfants:
Aux Etats-Unis le tutorat a été développé, d’ailleurs ce mooc en anglais permet de travailler sur ce concept :
https://afirm.fpg.unc.edu/peer-mediated-instruction-and-intervention
Pour les parents
L’inclusion est bénéfique pour les proches voici deux planches issues de situations réelles vécues par des amies :
Les études le montrent, les parents d’enfant en situation de handicap sont soumis à un stress bien supérieur aux parents d’enfants typiques. Plusieurs paramètres entrent en jeu, bien entendu le paramètre des difficultés inhérentes au handicap n’est pas à minorer, mais bien souvent les devoirs administratifs, scolaires et de santé sont très difficiles à gérer pour les parents.
J’avais repris cette image du nombre de cuillères qui correspondent à l’énergie pour chaque tâche, cela avait pour but de souligner le quotidien des parents :
En favorisant une bonne scolarisation avec des temps de scolarisation convenables les parents peuvent de nouveau, s’ils le souhaitent, pouvoir s’épanouir dans leur travail. Parfois des temps de 1h par semaine et souvent des temps de 6h sont proposés par semaine (AVS-m 50% des notifications). Ces temps réduits, avec un enfant exclu des écoles sans AESH obligent bien des parents, et pour tout dire, des mères à ne plus travailler(44% des personnes déclarent avoir du mal à concilier aidance et vie professionnelle, 8/10 des aidants sont des femmes). Outre l’impact économique et sociétal, c’est bien souvent une vie stressante, où le parent n’est plus que l’aidant de son enfant, avec bien entendu des risques plus grands de séparation et de stress.
Pour le professeur :
Beaucoup de choses mises en place pour les enfants autistes sont utilisables et universels pour tous les enfants qui grâce à cela vont bénéficier d’une approche comportementale et structurelle éprouvées et pensées pour tous les enfants. Parfois l’éducation nationale semble réticente à cause de la notion d’égalitarisme soulignée dans le travail suivant:
Source : veille et analyse ENS lyon
Deux interviews seront disponibles et souligneront cet aspect dans l’article suivant, mais en résumé voici quelques raisons:
Aujourd’hui en France, les débuts demeurent timides, mais les propos changent, et cela est indéniable. Bien souvent, l’augmentation des enfants scolarisés à besoins particuliers est un trompe-l’oeil, c’est le public déjà présent qui est reconnu comme tel et qui grâce à cette reconnaissance bénéficie d’adaptations. Bien entendu, il y a des progrès et certains n’auraient sans doute pas connus la maternelle. Mais il est important que le travail soit mené de façon plus importante.
Pour témoigner de ce problème, en cette fête de la loi de 2005, je me dis que pas un enfant que j’accompagne, ne sera accepté au collège, certains étant déjà déscolarisés ou en passe de l’être. La population en établissement médico-social se maintient, la désinstitutionnalisation est donc pour l’instant un discours, pis parfois cela conduit à une réduction des moyens pour le public présent. J’ajoute à cela qu’on ne peut guère se contenter de 8000 AESH absentes, contre 11000 l’année dernière, je vous renvoie à l’excellent rapport de Toupi à ce sujet qui souligne que pour bien des élèves, une AESH absente et l’enfant est privé de scolarisation sans AESH:
Synthèse de l’enquête Toupi 2019
Enfin dernier point le milieu social reste déterminant, les personnes à besoins particuliers sont deux fois plus à être scolarisés quand ils sont issus d’un milieu très favorisé.
Ma seule conclusion : Inclure est un devoir sociétal et éthique qui s’initie par notre changement de regard sur les personnes. Cela commence pourquoi pas sur nos murs facebook et finit dans nos rues, dans nos écoles, dans les médiathèques et aussi à la piscine. Il y a peu, pendant ma table ronde sur l’inclusion, une personne s’est plainte à une autre du bruit d’un enfant autiste car elle ne pouvait se concentrer. Si cette personne ne doit pas être exclue, cela souligne que ce n’est pas uniquement un problème d’éducation nationale, mais de regard sociétal sur les personnes.
Retrouvez mon deuxième article ici : L’inclusion par les concernés (Partie 2)
Images utilisées pour l’article:
Biographie sur le sujet :
[1] LOI n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées
[2] http://faire-face.fr/wp-content/uploads/2019/08/Rapport-Harris-La-scolarisation-des-enfants-en-situation-de-handicap.pdf?fbclid=IwAR0GjYv_T4XJ98awnuxc0kb5DYk18kjCRb8hVplLkwCYLvCX14uYT_eG2GI
Poster un Commentaire